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Lausanne VD : Incendie de l'Av. de Provence - Interview du Sgtm Olivier Gehri
Proposé par : admin Le 03/10/2009 Ã 12:30
«Quand on a enfin découvert le brasier, dimanche, je l’ai trouvé magnifique» - Le sergent-major Olivier Gehri, pompier professionnel à Lausanne depuis vingt-trois ans, combat le feu de l’avenue de Provence depuis dix jours, sur tous les fronts: il envoie les hommes au feu, se frotte au brasier et conduit la grue. «C’est juste mon métier.»
© ODILE MEYLAN | Le sergent-major Olivier Gehri aux commandes de la grue. «C’était magnifique. Quand nous avons abattu le mur de soutènement du bâtiment et que nous avons enfin découvert le brasier, dimanche, là juste devant nous, c’est une image que je n’oublierai jamais: l’eau noire qui croupit dans le fond, un mur de décombres calcinés au-dessus, et les flammes de toutes les couleurs qui courent au plafond...» L’évidence se lit dans les yeux bleus du sergent-major Olivier Gehri: il aime le feu comme on respecte un ennemi vaillant.
Vingt-trois ans qu’il porte le casque en professionnel lausannois, animé comme au premier jour d’incorporation par la même flamme. «Dans ce métier, on ne sait jamais ce qui va arriver dans la minute suivante. La routine, ce n’est pas pour moi.» Depuis le 24 septembre, jour où le brasier s’est déclaré dans les sous-sols de la société Secur’Archiv, à Lausanne, Olivier Gehri est sur tous les fronts. Il envoie les hommes au feu. Il conduit la grue qui extirpe les voitures calcinées. Il se frotte lui-même aux éléments. Un héros? «Sûrement pas. Pompier, c’est juste mon métier.»
«Nos compagnes sont compréhensives»C’est sans doute à cela qu’on reconnaît un pompier professionnel éprouvé par plusieurs jours d’un combat sans relâche. Olivier Gehri apparaît certes impeccable dans sa tenue d’homme du feu, il répond aux questions, il sourit, il se confie. Mais quand on l’interroge sur son emploi du temps de dimanche, par exemple, il commence par vous raconter sa nuit à la caserne. Il dit qu’il a rassuré sa compagne par téléphone, qu’il a bien dormi, qu’il n’a pensé à rien… avant de se raviser. Mais non. Ce jour-là, il est rentré chez lui, à Puidoux. Les jours au front, les nuits de garde, la notion du temps qui passe... La mémoire devient cotonneuse. Le souvenir comme enfumé. Mais pas le physique ni les réflexes. «La fatigue ne viendra que plus tard.»
Planifier l’engagement des hommes sur l’incendie de l’avenue de Provence, les envoyer combattre le brasier par les quatre cages d'escalier, c’était la première mission d’Olivier Gehri sur le site, en sa qualité de sous-chef de section. «Jamais auparavant il ne m’était arrivé d’envoyer septante équipes dans un brasier. Cela représente tout de même 210 personnes. Ce samedi soir, il en arrivait dix de plus chaque heure, de tout le canton. On ne voit pas le temps qui passe tellement l’engagement est intense. Tant que vous êtes sous tension, ça passe. Quand je suis rentré chez moi, j’ai dormi dix-huit heures d’affilée.»
Difficile pour la vie sociale, pour la vie de couple. «J’avais adressé un SMS à ma compagne. J’écrivais que je ne savais pas quand je rentrerais… Comment elle prend la chose? Toutes ces absences? Elle connaît mon métier. Il n’y a pas de reproches. Pas de culpabilité non plus en ce qui me concerne. Et puis, des feux comme celui-là, cela n’arrive pas tous les jours non plus. C’est plus dur pour les enfants. Je n’en ai pas, mais un collègue m’a confié que chaque fois qu’il rentre à la maison sa fille veut qu’il dorme avec elle…»
Du galon, non. Plutôt de la reconnaissanceOlivier Gehri a attendu plusieurs jours avant de descendre à son tour dans la fournaise du local d’archives en feu. «Quand on voit les hommes qui vont au feu, c’est vrai qu’on a aussi envie de se retrouver au fond. On les voit partir. On sait qu’ils vont la piler, qu’ils vont en sortir épuisés, mais qu’ils devront y retourner sous peu.» Son premier souci sur le site? Installer des canons à eau au plus près du trou béant creusé pour évacuer la chaleur. Cela a duré quarante minutes. «On rôtit littéralement, là-dessous, mais on ne repousse pas ses limites. Il n’y a pas de vies à sauver dans ce sinistre. Il n’y a pas besoin de mettre les nôtres en danger. Le feu serait peut-être déjà éteint si nous avions pris des risques inutiles, mais à quel prix?»
On a retrouvé Olivier Gehri jeudi soir, aux commandes de la toute nouvelle grue des pompiers lausannois, réquisitionnée pour évacuer la vingtaine de voitures calcinées qui se trouvaient encore dans le sous-sol du bâtiment. Vraiment sur tous les fronts. De quoi prendre du galon? «Non. Sur ce coup-là, tout le monde mérite du galon. Mais nous ne sommes pas contre un peu de reconnaissance, si elle est spontanée.»
Vingt-quatre heures effectives au feu. Vingt-quatre heures de repos. C’est le rythme des pompiers professionnels de Lausanne. «A la maison, je profite de mon temps libre pour rattraper ce qui traîne. Je fais le ménage. Je vais à la déchetterie. Je lis aussi. En ce moment, c’est une BD d’Enki Bilal.» Il y a par contre une chose qu’Olivier Gehri ne fait pas: parler boulot. «Je sépare très nettement ma vie professionnelle et ma vie privée.»
Le local du carrossier tranformé en séchoir
De retour à la caserne, entre une intervention pour un feu d’appartement et une prochaine mission à l’avenue de Provence, Olivier Gehri ne peut faire autrement que de penser à ses collègues au front: leurs vestes, leurs gants et leurs bottes détrempés sèchent dans le local du carrossier transformé en séchoir géant; l’atelier du gaz en est déjà à sa 1500e bonbonne de gaz rechargée; dans la cour, le matériel irrécupérable car définitivement endommagé est amassé sur des palettes. Des canons à eau noircis. Une tronçonneuse fondue. «C’est celle qui a servi au tout début pour essayer d’éventrer une armoire métallique qui contenait des archives en feu.»
Pas des héros. Ni tout à fait des hommes comme les autres.
Source : 24 Heures - Laurent Antonoff Lausanne VD : Incendie de l'Av. de Provence - Interview du Sgtm Olivier Gehri
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