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Pas le moindre transfert sanitaire depuis minuit. Il est 2 h du matin
et l'ambulancière de piquet lâche à l'opérateur du 118: «Ils font quoi,
les gens? Tu leur as dit que l'on était prêts à bosser, nous!» Prêts,
ils le sont, assurément, jusque dans ces moments d'inactivité
contrariante où l'attention ne doit en aucun cas se relâcher.
Aurélie Bersier, 25 ans, sortie de l'école de formation au seuil de
l'été, se méfie de ces instants où il ne se passe «rien de chez rien»,
où la pluie et le froid jouent les gendarmes dissuasifs. «C'est là que
peut tomber l'appel le plus important de votre service»,
explique-t-elle d'une voix jamais fatiguée.
Son service, elle le
partage cette nuit-là avec un vieux routier du traitement des appels
d'urgence, Jean-Marc Perrin, 37 ans de maison dont plus de dix à la
CETA. Un père et sa fille? Non, deux opérateurs qui collaborent
étroitement dans les instants de coups de feu. «Sur une grosse
intervention, quand il s'agit d'envoyer rapidement du monde, puis du
renfort, d'engager les hommes et les véhicules en temps réel, au besoin
d'alarmer la seconde caserne, il faut s'épauler, se parler vite et
bien», résume l'aîné, entre deux alarmes automatiques.
Le début
de soirée, ce vendredi 20 octobre, offre un bel aperçu de l'efficacité
du tandem. Le journal des événements s'écrit à quatre mains, enchaîne
un incendie dans une allée d'immeuble avec une inondation quai des
Forces-Motrices, un dépannage d'ascenseur rue de Vermont avec un
sauvetage d'animal sur la commune de Versoix, une bonne et une mauvaise
nouvelle.
A 21 h 05, «le petit chat est mort», malgré l'envoi
d'un fourgon et la sollicitation du vétérinaire de garde. Dans le quart
d'heure qui suit, le groupe d'étudiants enfermé à l'intérieur d'une
classe est libéré par le concierge de l'établissement, prévenu par
Aurélie, porteuse de clés par procuration.
Mieux vaut se
comprendre, en effet, pour gérer, douze heures de suite, les «secours
pompiers», sans véritable pause, en mangeant à la sauvette, après avoir
réchauffé des plats qui souvent finissent à la poubelle.
Pascal
Schaffner, l'officier de transmission, veille à la composition des
équipes. Il vient du rang et ça s'entend à chacune de ses explications.
La théorie, ici, n'oublie pas les 12 000 interventions traitées en 2005
par la Centrale d'engagement.
C'est pour répondre à cette
demande en constante augmentation que les nouveaux opérateurs (dont
trois femmes) sont formés. Dans le terrain d'abord, au contact des
fumées et des situations réelles. Devant les écrans ensuite, allumés en
permanence, à la manière d'un triptyque bourré d'informations.
A
gauche, le parc des véhicules disponibles ou engagés, représentés par
de petites icônes à faire rêver les mômes, qui changent de couleur et
d'aspect en fonction du rôle attribué; au centre le procès-verbal
détaillé de l'événement en cours; à droite, la cartographie de la ville
pointant l'endroit exact du sinistre, mais aussi, à la demande,
l'hydrante la plus proche.
Un tas de bois en feu
Une
main manie la souris, qui court sans s'arrêter sur les trois écrans,
pendant que l'autre réceptionne les appels. Celle-là exige une
instruction spécifique. «On repasse des bandes enregistrées de cas
particuliers ou stressants, souligne le lieutenant Schaffner, en
demandant à nos aspirants de ne pas interpréter les situations mais de
les comprendre, au plus près de l'urgence qu'elles génèrent. Un canevas
de questions précises ramène à l'essentiel: adresse, étage, code de
l'immeuble, types de fumées (blanches ou noires).
Des réponses
obtenues dépendent souvent la réussite d'une intervention. Lorsque le
temps presse, on ne suppose pas, on agit, sur la base d'une information
la plus exacte possible.»
Pas de doute: le feu a pris tôt samedi
21 octobre au chemin François-Chavaz à Onex. L'appelant voit les
flammes jaillir d'un tas de bois. Cette cheminée à ciel ouvert justifie
l'envoi de cinq hommes et de la tonne pompe. Ce sera la dernière sortie
de la nuit. «Grande» pour Aurélie selon l'attribution des tâches, mais
petite à la lecture du journal des événements.
La jeune
opératrice jette un regard distrait au tigre qui parade sur l'écran de
télévision muet. C'est l'heure du documentaire animalier. L'oreille,
elle, est prête à bondir sur le premier appel de l'aube. Il est 6 h 30
du matin au 118 et la relève franchit le seuil de la caserne.
La voix d'un enfant qui décrit en direct le feu dont il est le
témoin unique, l'avancée des flammes, les meubles qui brûlent, dans un
appartement fermé à clé de l'extérieur.
C'était il y a trois
ans et Jean-Marc Perrin s'en souvient à chaque fois qu'il prend son
service. «La mère s'était absentée et son numéro de téléphone était sur
liste rouge. Impossible de connaître l'adresse de l'appelant. Il avait
moins de 10 ans. Je lui ai dit de s'approcher de la fenêtre. Des
voisins l'on vu et on a finalement pu le localiser. Et le sauver. Le
jour même, sa mère appelait Swisscom pour retirer son nom des listes à
l'identité protégée.» Depuis, les pompiers ont obtenu que tous les noms
puissent être divulgués.
Source : Tribune de Genève - THIERRY MERTENAT
«Allô le 118, venez vite s’il vous plaît, le feu a pris dans mon appartement»
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